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Maisons traditionnelles de la petite Kabylie

Publié le par Zineb A.Maïche

Théâtre d’une vie passée

Elles sont accrochées à un  massif abrupt  où seules les chèvres devraient pouvoir se frayer un chemin. Les maisons kabyles de Beni Ourtilane défient les lois de l’apesanteur ; Elles sont construites à flanc de coteau le plus haut possible. Ali Benarab, professeur à la retraite à Ain Legradj, commune de la petite Kabylie, explique : « la maison kabyle doit répondre à quatre critères, elles doivent être éloignées de la route, en hauteur sur un piton de montagne…. Les raisons sont principalement sécuritaires. Le kabyle doit voir avant d’être vu, de manière   à surveiller les horizons pour d’éventuelles attaques. On évite toujours de construire le village sur des terres agricoles. Le site doit être tout prêt de l’approvisionnement en eau potable ». Cette occupation du territoire a toujours cours. Même si les maisons ne sont plus de pierre et d’argile. Même si les habitations sont plus grandes. Même si les ouvertures sur l’extérieur sont encore plus nombreuses, le kabyle a gardé dans une sorte de mémoire collective les marqueurs territoriaux ajustés par les ancêtres.

 

Bienvenue à el Koléaa. Wilaya de beni Ourtilane. Algérie janvier 2014

Bienvenue à el Koléaa. Wilaya de beni Ourtilane. Algérie janvier 2014

Village dans la région de Beni Ourtilane

Village dans la région de Beni Ourtilane

Il est un village dans la région de Beni Ourtilane qui se distingue. Les kabyles le citent en exemple aux touristes.  « Il s’agit d’un site merveilleux, incontournable. La preuve vivante et encore debout du village kabyle traditionnel ». El Koléaa, dont l’orthographe change d’une source  à l’autre et qu’aucun panneau n’annonce, est atypique. Aucun autre village moderne kabyle ne lui ressemble. Mais il est le type même du village berbère. On lui trouve des ressemblances avec les balcons de Roufi. A la différence  que l’environnement montagneux et verdoyant   injure la roche stérile du canyon de Biskra. Les balcons de Roufi, entre steppe et désert  ne doivent de verdure qu’à la lutte de l’homme sur la pierre et la sécheresse. Les deux sites sont comme deux faces différente d’une même pièces. D’abord elles sont toutes deux  à flanc de montagne. Escarpées. Toutes en terre et en argile. Presque toujours un oued en contrebas bordé de jardins d’agrumes. Seule particularité  à El Koleaa : les maisons sont debout, entières presque vivantes. Pourtant la plupart des populations kabyles se sont déplacées. Très souvent durant la colonisation. Aujourd’hui les maisons kabyles ne sont plus  en pierre. Le béton et le parpaing est la nouvelle dénomination commune de ces villages. Le confort et la chaleur ont pris le dessus sur l’esthétique. Il ne reste que quelques sites de maisons de pierre inoccupées.

Village d'el Koléaa. Beni Ourtilane. Janvier 2014

Village d'el Koléaa. Beni Ourtilane. Janvier 2014

Les rues étroites et pavées acheminent en pente raide. Les chemins mènent tous vers la grande mosquée. Qui n’est en fait que le site de trois grandes zaouias ( chadilia, Alaouia, Rahmania). Les familles déambulent les rues étroites et pavées empêchant les véhicules de s’y rendre. Le village d’el Koléaa a en fait été restauré par le ministère de la culture, selon Ali Benarab. La plupart de ses habitants ont migré vers Bordj Bou Arreridj, Alger ou l’étranger. Reviennent –ils dans leur maison d’el koléaa  le temps d’un week-end ? Ce qui expliquerait l’entretien des cours intérieures. Le soir, de retour à l’auberge de Ain Legradj, grande discussion autour du feu de la cheminée avec le vieil Ali Benarab et Hafid Haddar, ancien maire de Ain Legradj et directeur de l’auberge Delaga. Comment préserver ces villages ? L’Etat peut-il entretenir des sites sans vies ? Avec quel argent ? Comment mobiliser les kabyles de ces villages pour développer une économie et permettre à ces maisons de survivre au temps ? L’Etat doit- il exproprier  au nom du patrimoine culturel ?! N’est-il pas plus sage d’accepter de voir ces villages mourir, les pierres et l’argile des maisons retournant à la nature, de là même où elles ont été prélevées

Au fond a droite : Da Ali, à côté Hamid Haddar, Ghanem Laribi ( à droite), Zineb A. Maiche (à gauche)

Au fond a droite : Da Ali, à côté Hamid Haddar, Ghanem Laribi ( à droite), Zineb A. Maiche (à gauche)

Les jardins

 Le village d’el Koleaa est intéressant sur différents plans. D’abord parce qu’il est l’archétype même du village kabyle abandonné. En effet, presque plus aucune famille n’y vit. Mais en même temps il n’est pas en ruine. Le ministère de la culture a veillé à sa réhabilitation. Mais les propriétaires qui ont migré n’ont pas totalement délaissé leur maison. Le village est à l’instar d’une carte postale, une photographie, un témoignage architectural des villages kabyles. Mais il n’en demeure pas moins qu’il est un village fantôme, sans vie, sans activité. En contrebas, un oued qui court. Tout le long de l’oued, des jardins. Certains sont abandonnés. D’autres ont l’air de reprendre vie. Ils sont soignés, travaillés. La saison hivernale offre un repos au jardin. Mais en cela, le jardin ne peut resplendir et jouer de ses charmes à cette époque de l’année. Le jardin kabyle d’el Koleea est en terrasse. Balcons sur balcons de verdures que l’homme a dû aplanir et dompter pour se poser et jouir des quelques culture de la terre. Des agrumes, des grenadiers, des amandiers, des oliviers, des figuiers occupent  ces balcons végétaux. Quelques hommes travaillent encore la terre en cette journée humide et fraiche. Des coups de pioches se font entendre jusque loin dans la montagne. De vieilles maisons kabyles sont abandonnées, à quelques kilomètres du site principal d’el Koléaa. « Toutes ces maisons sont les propriétés des Ben Athman. Je suis nés dans une de ces maisons », indique un homme essoufflé. Son visage est caché derrière les feuilles d’un arbre. Il a une pelle à la main et s’est arrêté de travailler son compagnon et lui le temps de notre passage. « Nous avons quitté les lieux en 1977. Plus personne ne vit là mais on revient pour entretenir les jardins. », précise-t-il. Il regrette de ne pouvoir nous offrir des grenades ou des figues. Il se répète plusieurs fois : il regrette notre visite hivernale, en été il aurait pu faire cadeau de fruits. Offrir les produits de la terre à l’étranger de passage est important ; Cela conjure le mauvais sort et ajoute de la baraka. Kabyles ou arabes, les rites et les croyances sont partout les mêmes. A Biskra, quelle stupéfaction de voir tant de palmeraies à vendre. Indiquées sur les murs encerclant les palmiers, j’ai cru tenir là un scoop. Y’aurait ils une nuisance qui pousserait les gens à vendre leur parcelle de palmeraie ? Il n’en était rien. Un natif et ami de Biskra apporte froidement la  réponse :la récolte de datte a été excellente, il n’ y a aucune nuisance. Certains inscrivent « à vendre » sur la façade pour faire croire que la récolte a été mauvaise. Et faire éloigner ainsi le mauvais œil.

Propriété des Ben Athman. El Koléaa, Beni Ourtilane. Janvier 2014

Propriété des Ben Athman. El Koléaa, Beni Ourtilane. Janvier 2014

Une maison

L’escalade vers les sommets est fastidieuse. Le chemin est de plus en plus étroit au fur et à mesure que l’on monte. Les cailloux ont roulés et le parcours est de moins en moins dégagé. Aveu d’un chemin que nul n’entreprend à part les sangliers. Pourtant les maisons au-dessus ont l’air d’être debout. La terre des jardins est nouvellement retournée. L’oued roule dans un bruit rythmé juste en contrebas. Des odeurs de terre mouillée. Des relents de bêtes. Les narines sont titillées par des effluves de printemps. Nous sommes pourtant en janvier. Une première maison se découvre. Une porte en bois massif ferme l’entrée ; le mur de soutènement au-dessus de la porte menace de tomber. Des interstices laissent entrevoir une cour mangée par des plantes sauvages. Mais encore d’autres portes, d’autres ouvertures … A quelques mètres : d’autres maisons, d’autres murs de pierre et d’autres jardins quasi-abandonnés. Une porte de bois est poussée ouvrant le passage vers une cour carrée de laquelle donnent d’autres portes. Certaines pièces sont de dimension identique. D’autres sont plus petites, peut-être destinées aux bêtes de somme. Certaines ont le toit défoncé. On retrouve le bois de peupliers utilisé comme poutrelle pour soutenir la paille puis les tuiles fabriquées localement. Certaines pièces communiquent les unes les autres par une espèce de petite ouverture. Ali Benarab expliquera que l’homme kabyle, chef de famille, a besoin d’avoir un œil sur ses biens : nourritures et bêtes. De grandes jarres en terre ornent les trois coins de la pièce. Elles sont moulées à même le sol donc scellées. L’une d’elle est cassée. Des morceaux jonchent le milieu de la pièce. Les autres sont debout comme des totems. Une petite lucarne en bas devait servir d’ouverture.  Que contenaient ces jarres, des réservées de blé ? De semoule ? On peut également trouver dans certaines pièces, une structure en terre surélevée par rapport au sol d’à peine dix centimètre. Elle prend un angle de pièce et au-dessus des tâches noirâtres témoignant de l’usage de feu. Ce n’est pas un kanoun mais devait servir à faire cuire ou chauffer quelques choses. Ali Benarab, encyclopédie de la région kabyle de Beni Ourtilane, pense qu’il s’agit d’une structure servant à faire cuire le plâtre.

Jarre dans une maison des Ben Athman. Beni Ourtilane

Jarre dans une maison des Ben Athman. Beni Ourtilane

Un four ? Propriété des Ben Athman. El Koléaa

Un four ? Propriété des Ben Athman. El Koléaa

L’écho des peuples

La visite des maisons kabyles abandonnées donne toujours l’impression d’entrer par effraction. Dans une culture, un logis, une intimité, une histoire. Les murs peuvent –ils parler ? Savent-ils garder le secret des demeures familiales. L’effraction est consommée dès lors où l’on passe la porte. La poutrelle qui maintient le reste du toit pourrait s’effondrer et venger l’esprit des anciens occupants. On quitte les lieux avec le désir de prendre un caillou ou ces jarres si imposantes et si mystérieuses. Après l’effraction, le recel ! le bruit de l’oued en contrebas rappele à l’ordre. Celui de la nature. Celui des chants des anciens qui désirent demeurer en paix. Laissons l’argile et la pierre se consumer d’elle-même. Et retourner à la source. L’histoire et la mémoire de l’homme commande de rapporter. Quelles furent la vie des kabyles dans ces contrées froides et montagneuses. Quelle leçon pourraient-ils nous léguer ? Les murs n’ont que peu livrés et les paysans ne se sont pas fait l’écho de ces murs non plus. Sauf peut-être un petit peu Da Ali Benarab.

 

*Ali Benarab ( dit Da Ali)

« Notions sur la commune d’Ain Legradj Région de Beni Ourtilane » Edition Dar El Balagha

Zineb A. Maïche

 

 

 

Maisons traditionnelles de la petite Kabylie

Fondation abbé Pierre à Ain Legradj

L’association Génération 2010 et la fondation abbé pierre sont à l’origine de la construction de 18 logements en faveur des femmes de Ain Legradj. Ces femmes en situation de précarité pour cause de divorce ou de veuvage sont actuellement propriétaires de petite maisonnette.  Une auberge a également été construite à Ain Legradj par la Fondation abbé Pierre.  Attirer le touriste algérien et étranger est l’un des objectifs de l’association touristique Alegradj. L’auberge dispose de plusieurs chambres, de salles de bain et même d’une connexion internet (qui marche). L’accueil est chaleureux et il y a la possibilité de demander aux femmes du village de préparer des mets de la région. Ceci pour aider les femmes à avoir un petit pécule et pour faire connaitre les spécialités culinaires locales.

Auberge Delaga   036 98 61 97/0556619652/       haddarhafid@hotmail.com

               

Z.A.M

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